Margaux Margaux

Un dîner hors de contrôle

Nous suivons notre guide qui semble presque tourner en rond dans le dédale de sentiers étroits qui serpentent le long du Mékong. Nous passons quelques ponts en cagettes, douloureusement étroits, sur lesquels nos fesses se serrent plus fort que des huitres en rébellion la veille de Noël.

Un dîner hors de contrôle

Pas le temps de lire

Ou bien, pas l'envie ?

J'écoute cette brève en podcast

Province d’An Giang, sur un bout d’île flottant sur le Mékong, Vietnam.

Nous errons dans les ruelles bouillonnantes qui serpentent entre des bras du Mékong, soulevant la poussière des pistes à chacun de nos coups de pédales. Les effluves mixtes de vase, de mangue, de crevette, d’épices et d’échappement de scooter semblent avoir pris consistance dans la moiteur de l’air, si bien que nous avons la sensation, Antonin et moi-même, de fendre ce florilège sensoriel à mesure que nous progressons. Nos estomacs font office de guide. Nos yeux sont à leurs ordres et balaient sans cesse les étales de nourriture à la recherche de quelque chose d’envisageable.
Enfin, se présente une vendeuse ambulante. Il s’agit d’un chariot surmonté d’un parasol et tracté par un scooter. L’engin est garé sur le bord de la route et sa propriétaire s’affaire à la confection de "banh mì" (sandwich vietnamien). Je me présente à elle et tente d’articuler ma requête le plus clairement possible. 

— Xin chào, Hai bánh mì chay, làm ơn
Bonjour, deux sandwichs végétariens, s’il vous plaît.

Sans surprise, la vendeuse me regarde, amusée, puis fronce les sourcils avant de me tendre une oreille.
Le vietnamien est une langue à l’accent tonique. Il ne s’agit pas que de connaître les mots, leur prononciation et la syntaxe d’une phrase. Non. Il faut aussi respecter l’intonation montante, descendante ou neutre pour chacun des mots sous peine d’en changer drastiquement le sens. Bref, c’est une langue horrible à apprendre. Peut-être n’avais-je pas résisté à monter la fin de ma question dans les airs, comme on le fait chez moi pour marquer n’importe quelle interrogation ? Je recommence :

 — Hai bánh mì chay, làm ơn

Toujours pas. À la suite infructueuse de plusieurs autres tentatives, j’abandonne. Je lui présente l’écran de mon téléphone sur lequel j’ai décidé d’écrire ma phrase. Ses yeux tombent sur l’appareil, s’ouvrent en grand et ses poumons exhalent un long "AAAaaaaahhh !", en guide de soulagement d’enfin comprendre ce qu’on attend d’elle. Puis, elle répète machinalement la phrase à voix haute, qui me semble être absolument identique à ce que je m’étais épuisée à répéter. Je souffle. 

La suite de l’échange fut encore plus douloureuse. À grand renfort de traducteur Google, nous comprenons qu’elle n’a pas de sandwich végétarien. Du pain, de la salade et un carré de vache qui rit nous auraient bien suffi, mais il nous fut impossible de lui passer l’information. Elle s’obstine à nous répéter qu’elle va nous trouver un repas végétarien et qu’il nous faut attendre.
Nous attendons. Qui ? Quoi ? Chaque question est une véritable douleur cérébrale dont la réponse se perd dans les méandres du Mékong. Il faut faire simple et concis. Attendons.

Partager