
Le prophète à la bave de grenouille
"Je suis guide spirituel, reprend t-il, je guéris la dépression grâce aux champignons.” Bien manger, c’est le début du bonheur, mais j’imagine qu’ici, il ne s’agit pas de soigner les gens avec une poêlée de chanterelles à la crème.
Italie, août 2020
Il nous est apparu peu de temps après notre arrivée sur la plage. Le moteur de notre sprinter aménagé était encore chaud. Il avait garé le vieux break Volvo de son père au fond du parking en terre battue, puis, il était venu errer près du van, le nez au sol, comme s’il avait perdu quelque chose. Il y avait beaucoup de monde venu contempler le coucher de soleil ce soir-là, le parking était bondé, mais Antonin et moi avions inventé une place sur une petite dune. Il ne manquait plus qu’un verre de rouge pour trinquer à cette parfaite fin de journée.
Ma tête disparaît dans mon placard. Où sont nos verres à pied en plastique ? Soudain, une voix grave remplit l’habitacle de mon van.
“Would you mind us setting our tent behind your van?”
“Ça vous dérange si on met notre tente derrière votre van ?”
Je sursaute. Une tête penchée est apparue dans mon couloir, le corps est resté dehors, sur le sable. C’est l’homme au break. Il n’a rien perdu, il cherchait où planter sa tente.
“Hey! Hi!”
“Hey ! Salut !"
Les salutations remises à l'ordre du jour, j'avance vers lui jusqu’à le faire reculer et sortir de mon van. Depuis la marche latérale de mon sprinter, j’étudie mon visiteur. C’est un Italien brun aux yeux noirs, en fin de vingtaine. Ses cheveux noirs ondulés sont en bataille organisée autour de son visage harmonieux. Il est pied nu, son pantalon brun en tissu fin est négligemment retroussé au-dessus de ses chevilles, une chemise ample me cache ses hanches. Ses manches, remontées jusqu’aux coudes, dégagent la vue sur ses poignets couverts de bracelets en cuir foncé. Son regard assuré est intensément planté dans le mien. De ses cent-soixante-quinze centimètres, ce Jack Sparrow italien dégage un charisme étonnant.
D’un bond, je quitte mon intérieur pour rejoindre le sable. Il ne recule pas. Me voilà collée à son flanc immobile. Il érige son bras en direction du cul de mon véhicule et reprend :