Margaux Margaux

L'abominable créature des buissons

C’est en son sein feuillu que bruisse une chose inconnue. À nouveau, le végétal siffle et crisse et quelques-unes de ses branches s’agitent. Les poils se dressent sur ma peau, une crampe de terreur me mord l’estomac.

L'abominable créature des buissons

Pas le temps de lire

Ou bien, pas l'envie ?

J'écoute cette brève en podcast

Sydney suburb, juillet 2016, Australie. 

Mon sac à dos est rempli à ras bord de prospectus. J'ai beau distribuer méticuleusement ces feuillets publicitaires dans chacune des boîtes aux lettres que je croise, le poids qui écrase mes épaules semble rester le même. Mais la pire lourdeur se situe dans mon bas ventre. J’ai une soif terrible à force d’arpenter les avenues résidentielles en pente des quartiers de banlieue, mais je n’ose plus boire une goutte de peur d’ingérer celle qui ferait déborder le « vase ». J’ai embauché à l’aube, le soleil est maintenant haut dans le ciel, et je regrette amèrement le “flat white” que je me suis offert à “Central Station”. J’ai dans la main gauche une carte de la zone que je dois couvrir, imprimée sur une feuille A4. Dans ma main droite, j’ai un surligneur que j’utilise pour marquer les rues déjà faites. J’ai repéré un espace vert depuis un moment, encore faut-il y arriver. Mon responsable ne me laisse que relativement peu de temps pour couvrir une zone, il me faut presque courir. J’ai un GPS dans le fond de mon sac et cette saleté de taupe se charge d’exposer tous les manquements qui seront par la suite répercutés sur mon maigre salaire.  

Le début de ma journée fut déjà peu glorieux. En effet, en arrivant sur place, je me suis immédiatement perdue. Je ne m’en rendis compte que trois rues plus tard, en tombant sur un périphérique qui n’avait rien à faire là. J’ai eu beaucoup plus de mal que de raisonnable à rattraper le parcours qui m’avait été attribué. Mon tracé GPS doit ressembler à celui d’un pigeon bourré. À cause de ce contre-temps, je sais déjà qu’il me sera très difficile de terminer mon quartier dans les temps. Je ne pus me résoudre à une seconde incartade pour trouver des toilettes publiques, ni plus que de baisser mon pantalon sur le trottoir, entre deux pavillons de banlieue. L’espace vert susmentionné est ma meilleure option, bien que beaucoup plus long à atteindre que ce sur quoi nous étions tombés d’accord avec mes sphincters. 

Le moment tant attendu se présente enfin. Je dépasse la dernière bâtisse de la rue, la route devient fantomatique, le trottoir se termine en amas de gravats, le bitume est couvert de végétation. Encore quelques pas et le tout est avalé par un sous-bois luxuriant. Je baisse la tête pour me frayer un passage, je repousse quelques branches d’un revers de main. Enfin, un ersatz de clairière s’offre à mes urgences. Je m’accroupis et débute mes affaires en retard.

Je me fais toujours la réflexion de la vulnérabilité que cette position nous impose. Particulièrement aujourd’hui. Fraîchement débarquée en Australie, je n’ai pas encore eu l’occasion de me confronter à sa faune, mais j’en ai entendu le plus grand mal.

Un bruissement de feuille me tire de mes cogitations. Sur ma gauche, à quelques centimètres de mes genoux, se trouve un buisson épais au travers duquel il m’est impossible de voir. C’est en son sein feuillu que bruisse une chose inconnue. À nouveau, le végétal siffle et crisse et quelques-unes de ses branches s’agitent. Les poils se dressent sur ma peau, une crampe de terreur me mord l’estomac. Quelle est la chose australienne, forcément vindicative, qui s'apprête à me sauter à la gorge ? Le cours de mes affaires en plein déroulement se poursuit en torrent. Il me faut pourtant remballer prestement le dossier et fuir cette zone de danger. Hélas, je n’eus pas même le temps de tenter de mettre à l’épreuve mon périnée. Le buisson vibre à nouveau, et soudain, l’animal vigoureux qui s’y cachait émerge à mes pieds comme un boulet de canon. Sa fourrure tiède m’effleure le mollet, je pousse un cri d’effroi et bascule sur mon flanc. Là, affalée dans mon pipi, j’ai tout le loisir de contempler mon assaillant resté sur place. La créature, fière et droite sur pattes, me défie du regard. Il s’agit d’un… adorable petit lapin, avec un fin duvet clair qui dessine une ravissante collerette autour de sa frêle nuque, et un petit nez blanc charmant qui remue frénétiquement. Voilà un être absolument mignon. 

— Enfoiré ! Lui lancé-je.

L’abominable créature des sous-bois déguerpit en frappant le sol de ses pattes arrière.

Je terminerai cette journée avec le froc mouillé et la moitié de ma paie.  

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