La Belle au Bois Dormant

La Belle au Bois Dormant

Une nuit, je suis tirée de mon sommeil pour une raison que je ne parviens pas tout de suite à identifier.

Margaux

Margaux

Patronne de cette plateforme, Rédactrice / prof indépendante de langues. 1m70, 56kg, Lion ascendant cancer…

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J'écoute cette brève en podcast

Katherine, territoire du nord, Australie. 

J’ai récemment intégré la chambre d’un dortoir mixte de huit personnes, à trois cents kilomètres au sud de Darwin. Je suis seule. J’ai trouvé un travail dans la ville, comme tout le monde dans cette auberge. En cinq jours, je n’ai rencontré que peu de monde. On se croise au gré de la valse de nos horaires de boulot. Il y a ceux qui travaillent la journée et finissent dans l'après- midi, avec ceux-là j'ai pu boire quelques bières. Et puis il y a ceux qui partent avant l'aurore et que je n’ai jamais vus. Je ne connais d’eux que leurs draps défaits, les vêtements qui dépassent de leur sac à dos à demi ouvert et le chuintement de leurs respirations que j’entends lorsque je rentre dans notre chambre, très tard le soir, sur la pointe des pieds. En ce moment, je suis bartender. 

Je trouve assurément quelque chose de poétique à ces courants d’étrangers qui le demeurent avec pourtant autant de proximité, à ces balais d’anonymes qui entrent et sortent de la même scène sans jamais se croiser, à ces groupes d’inconnus qui ne partagent que leur intimité. 

Parfois, la poésie dérape. 

Une nuit, je suis tirée de mon sommeil pour une raison que je ne parviens pas tout de suite à identifier. Mon esprit revient lentement à lui et scanne les contours immobiles de son corps. Je suis allongée sur le dos, les bras le long des côtes, la tête légèrement versée sur le côté. Le silence de la nuit semble davantage feutré, l’obscurité plus tamisée. Je suis avalée dans un cocon dont je sens presque les bords se refermer sur moi. J’ouvre les yeux. Une silhouette épaisse d’homme est penchée sur moi, un de ses bras encadre ma tête, l’autre est reposé sur le bord de mon matelas. Je suis figée, seules mes paupières se débattent et après une salve de battements de cils, mes yeux trouvent les siens au milieu d’un visage avalé par la nuit. C’est un jeune Israelien d’une petite vingtaine d’années que j'apprécie, jusqu’ici. Il ne m’a pas encore été permis de rencontrer un seul ressortissant du pays natal de Jésus, qui ne soit pas bourru, déterminé et dominant. Je ne suis donc pas surprise de son mépris de la bienséance, encore moins de celui du respect des frontières de mon espace personnel. Trois longues secondes figent cette scène incongrue. Il faut savoir que tous les jeunes d'Israël, gamins et gamines, sont envoyés à leur majorité au frontière de leur pays pour défendre leur droit à la terre à grands coups d’automatiques. Cette adolescence ne forme pas les mêmes hommes et femmes que chez nous. Ces âmes-là ne s'embarrassent pas des mêmes contorsions sociales, ai-je remarqué. Le général de Gaulle l’avait également observé de son temps. “Un peuple sûr et dominateur.” 

C’est donc une main qui ne doute de rien qui s’élève dans les airs et se repose doucement sur mon front. Au concert silencieux des souffles des inconnus de la pièce, s’ajoute à contre temps, le tempo des caresses de sa main dans mes cheveux. Je sors doucement de ma sidération et saisis son poignet pour l’immobiliser. 

“Go back to sleep” l’ordre est doucement murmuré. Les quelques secondes d’immobilité qui suivent sont un peu pénibles. 

“Now!” Precise-je pour écourter le suspense de sa réaction.

Ses bras glissent sur mon matelas qu’ils quittent sans presque un bruit, sa masse sombre s’élève doucement dans les airs, et il s'évanouit dans l’obscurité de la pièce, comme un fantôme. Le chevet de mon lit à peine dégagé, j'aperçois dans son axe une autre silhouette masculine, assise sur le bord de son lit, la tête en avant, les mains reposées sur les bords du matelas, prête à donner l'impulsion nécessaire à rapidement fondre sur mon assaillant. 

J'érige sans bruit un pouce en l’air à son attention. Aussitôt ses épaules se relâchent, ses coudes regagnent ses côtes. Il demeure assit encore un moment. Son regard prévenant oscille entre mon lit et celui de l’envahisseur déjà immobile sous ses draps. Je ne sais combien de temps il demeura ainsi, mon veilleur de nuit, à protéger la belle au bois dormant des intrusions du prince charmant. 

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Margaux

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Un recueil d'aventures extravagantes mais véridiques, au fil des pages duquel on frissonne, on rit, on se cultive, mais surtout, on voyage.

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