Café clopes

Café clopes

la relation amoureuse du baroudeur est une chose malmenée par les conventions sociales, mais les réels bourreaux de la poésie des premiers instants sont les architectures douteuses des “backpacker hostels”

Margaux

Margaux

Patronne de cette plateforme, Rédactrice / prof indépendante de langues. 1m70, 56kg, Lion ascendant cancer…

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Cela fait une poignée de jours que mes échanges amicaux avec un jeune Américain ont pris une tournure plus romantique. Nous venons d’atterrir à Cairns, Australie. Il n’y avait plus de travail pour nous en Tasmanie, lieu de notre rencontre. C’est avec milles détours que nous prîmes la décision de continuer nos routes ensemble, à ce jeune stade de relation encore inavouée. La romance du baroudeur est une chose délicate, malmenée par les conventions sociales parfois un peu manichéennes.

“Vous êtes en couple ?” Nous demande le type à l'accueil de l’auberge de jeunesse.

“Non, on voyage ensemble.” Répond mon Américain après quelques secondes d’hésitation. 

Il me semble que tout le monde peut entendre les bruits d’éclats de verre de mon égo qui se brise au sol.

-Silence gênant-

“Je vois…” commente le réceptionniste d’un air entendu. 

Les premiers balbutiements d’une relation amoureuse naissante savent être d’un romantisme insondable. Pour le nomade, le charme des premiers instants cède trop facilement sa place à des scènes embarrassantes dont les occurrences sont d’une douloureuse redondance.

Nous pénétrons le dortoir qui nous a été attribué, nos camarades de chambre nous saluent avant de nous questionner machinalement.

“Vous êtes en couple ?

— I don’t know, are we ?” Me demande cette fois mon partenaire d'embarras. 

Nous expliquions donc que la relation amoureuse du baroudeur est une chose malmenée par les conventions sociales, mais les réels bourreaux de la poésie des premiers instants sont les architectures douteuses des “backpacker hostels”. 

Je repère une porte dans un coin de la pièce, je la pousse machinalement dans un semblant de tour du propriétaire. Ce que je découvre à l'intérieur me fait l’effet d’une crampe à l’estomac. Il s’agit d’un cabinet de toilettes. Pourquoi diable se trouve-t-il à l'intérieur de la chambre, et non pas dans la grande salle de douches communes où vont et viennent, anonymement, des dizaines de nomades pour leurs ablutions matinales ? Pourquoi faut-il ici performer ses évacuations corporelles dans la promiscuité d’une chambre où dorment les six autres personnes à qui l’on vient de se présenter ? Une des couches de la pièce a comme tête de lit, un des pans de mur du cabinet de toilettes. Pour ceux qui n’ont pas le privilège du huis clos, reste celui des effluves qui ne manqueront pas d'être dispensées au sortir de cette pièce sans fenêtre. Non, je n’allais pas me résoudre à tirer la chasse sur mon idylle. Je prétexte une visite du bâtiment avant de me retirer pour une recherche acharnée des toilettes communes de l’auberge. 

Rien.

Dans la salle télé, je trouve un type affalé sur le canapé devant une émission sous-titrée. Je lui expose ma quête sans préliminaire. Il remue la tête de gauche à droite avant de confirmer ce que je redoutais : “Les toilettes et les douches sont dans les chambres.” 

Lorsque plus tard dans la matinée, nous sortons visiter la ville, je découvre un superbe petit café à l'européenne, juste sur le trottoire d’en face. J’y pénètre presque machinalement, mon Américain commente aussitôt : “évidemment…” d’un air entendu. 

C’est la première fois qu’il est intime avec une Française, j’ai l’impression qu’il est très attaché aux stéréotypes.

Je ressors de l’établissement dans ma robe rayée blanche et noire, le gobelet de mon expresso porte déjà la marque de mon rouge à lèvre carmin, je quitte le trottoir et allume la cigarette posée entre mes lèvres. Mon Américain ricane. 

“Tu es tellement française 

Je lève les yeux en l’air. 

— Olala ! Vous, les Américains, vous êtes obsédés par les clichés !”

Je suis apaisée, la journée peut continuer. Dans ce petit café, ouvert dès sept heures du matin, se trouve le parfait petit coin, dissimulé au fond de la pièce et camouflé par les bourdonnements des machines à café.

Le premier matin, j’enfile négligemment ma robe de la veille et pars immédiatement au café du bas. Je remonte, soulagée, un américano fumant entre les doigts. 

“Hi frenchie” me lance mon Américain les bras tendus pour que je vienne m’y blottir. 

Ce manège fonctionne encore quelques jours, jusqu'à ce matin. Je m’éveille plus tard que prévu et le tacos suspect de la veille presse cruellement mon transit. J’attrape un pantalon, je ne trouve plus mon t-shirt, c’est la panique. Je sens que je n’ai que peu de temps devant moi. J’attrape n’importe quoi. Finalement, le plus sommairement parée, j'entame ma fuite vers le café. Mais au moment de traverser la chambre, horreur, mon Américain se réveille et me tend le bras depuis son lit. Il sollicite une embrassade. 

“Je vais prendre un café, je t’en ramène un ? lui lance-je, expéditive.

_ Yeah why not, come here first.” Tout en disant cela, il se redresse sur son lit et attrape ma main sur mon passage. Le contretemps est douloureux, mon corps se crispe, je pète. 

Je ne sais pas si l’origine de ce son peut être confondue. Au sol, il y a de la moquette, ce qui ne laisse pas planer le doute d’un caillou sous ma chaussure. De toute manière, voici presque immédiatement une réplique, telle la confirmation du baptême de la honte. Comme la situation pourrait être pire, si mon périné venait à faiblir, je décide d’évacuer immédiatement mon humiliation dans le couloir. Je récupère sèchement ma main qui était toujours prisonnière de la sienne. J’abandonne l’idée de me couvrir.

“Pardon, il faut vraiment que j’y aille.” Seront les mots de la fin. Je n’attends pas qu’il réponde.

Pendant ma course vers les toilettes du café, dans lesquelles je pénètre sans rien commander, ni même répondre au barista qui me saluait, je repasse en boucle la scène horrible qui vient de se dérouler. 

J’ai “double-pété.” Voici finalement le sordide requiem au romantisme du début de relation. Je suis mortifiée. Sur le chemin du retour, fagotée comme un sol de penderie, il me semble que la honte me suit dans un halo fushia visible de tous. Devant la porte de la chambre, je prends quelques secondes pour rassembler les miettes de ma superbe. Puis résignée comme un condamné à mort, je pousse la porte et marche dans le couloir. Personne ne m’adresse les regards en coin moqueurs auxquels je m’attendais. 

Personne ne crie : “Jamais deux sans trois.”

Mon Américain est toujours au lit, les bras ouverts, la mine réjouie. 

“C’est bon ? Je peux avoir mon câlin maintenant ? C’est vraiment quelque chose les Français et le café du matin !” commente-il. 

Et c’est ainsi que j’échappai à la confrontation. Pas une réflexion ne vint piquer ma dignité à vif.

Ce n’est que bien plus tard que je revins sur le sujet. À mon grand étonnement, il m’avoua n’avoir rien entendu de mes activités digestives, ni de n’avoir suspecté la réelle nature de mes urgences matinales. Pour lui, il ne s’est jamais agi de rien d’autre que de l’expression la plus intense de la culture française.  

“Je m’étais fait une idée, pour les Français, le café du matin, c’est une urgence.” 

Je ne sais même pas si c’est tout à fait faux.

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